Carnet de route

Pauvres Manants à €hamonix.
Sortie : Pointe Alphonse favre du 05/02/2022
Le 05/02/2023 par Bagnard Éric
Télécabine de la Flégère.
Rodés comme une horloge Suisse, il est 8h30 comme prévue. Nous sommes six, pas trop pressés.
Équipés rando nous devons « emprunter »,quel drôle de mot en ce lieu, les deux tronçons de
télécabines jusqu’au sommet de l’index, point de départ de notre sortie vers la pointe Alphonse
Favre (géologue Suisse). La météo annonçait plutôt bon pour la journée mais là maintenant en cet
instant tout est bâché bas. A l’intermédiaire, une âme bienveillante nous informe d’un vent fort en
altitude. La météo en avait parlé : 40km/h à 2000m et 60 à 3000 rien d’extraordinaire.Mais içi à LA
Flégère un aperçu se profile, les rafales me semblent déjà à 60 voir plus soulevant la neige, nous
fermant les yeux et les poumons .
En haut de l’index à 2400m, on choppe tout le package hivernale, froid matinale bien normale ;
Brouillard fugace tu m’agace ; et vent violent tonitruant, terriblement provocant soulevant et
projetant tout ce qui ne lui résiste pas.
Bah, on en a vu d’autres alors on peaute dès maintenant pour rejoindre le haut du téléski de la
Floria. Déjà là, coupe-vent fermés, doudounes fermées, cachés derrière les masques et dissimulés
sous nos capuches relevées, sous nos carapaces protectrices le dialogue est impossible et les mots
sont balayés eux aussi par le vent chargé de cristaux de glace. Nous commençons notre traversée
dans notre quête de bout du monde dans ces conditions Dantesques. Campés sur nos bâtons nous
résistons aux premiers assauts des quarantièmes rugissants sous une lumière fade, sans chaleur.
Avec de Petits regards en arrière, la neige piquante traversant mes lunettes et mes yeux mi-clos me
donne ainsi l’impression de passer à la sableuse. Même la respiration doit être contrôlée.
Le groupe de six me laisse l’impression de six groupes de un, chacun luttant pour avancer là où
d’autres combattent pour rester debout sans succès parfois alors que la pente brumeuse se redresse
juste avant l’arrivée de la Floria.
Raideur, conversions contraintes et bourrasques descendantes s’amusent sans états d’âme de notre
équilibre précaire, jouant de nous à sa guise. La concentration nous isole les uns des autres. Chacun
cherche Sa solution pour arriver là et seulement là, c’est à dire bêtement en haut de la station. Dans
nos têtes, les voyants commencent à clignoter et curieusement il est amusant dans ces moments là
de constater à quelle vitesse nous dérogeons rapidement à nos propres petites règles et habitudes.
D’autres groupes arrivés en téléskis passent et s’équipent, poursuivent et persévèrent tout courbés
vers le col des crochus fumant, puis disparaissent dans les tornades enneigés .
Dans nos têtes une chose est sûr : Alphonse ça sera pour une autre fois. Ce sommet face aux vents
n’est protégé par aucun autre et skis sur le sac ça sera terrible. Mais passe-t-on le col des crochues
pour un retour par le col de Berard ? C’est l’hypothèse qui se profile mais comme en cet instant le
beau temps n’est toujours pas là, l’idée de basculer derrière par ces conditions interroge sur le sens
du plaisir recherché d’autant qu’un autre voyant nous incitera à la prudence.
(NB : en cet instant le pb n’est que technique. Qu’aurions nous décidé avec les mêmes conditions de vent mais avec un
grand soleil ?)
Du plan B, il va falloir dors et déjà proposer un plan C et, me vient la certitude qu’il n’est jamais
trop tard pour aller boire une bière voire même une ou deux coupes de Champagne, le corps
ramollissant dans un SPA à l’abri du vent, face aux montagnes ensoleillées entourés de vapeur et de
demoiselles allongées sur des peaux de loups épaisses devant une douce flambée régénérante. !!
Une violente bourrasque me sort de ma torpeur et me rappelle que je ne suis ni assez gros, ni Russe
ni acteur hollywoodien ni en vacances que je ne fume pas le cigare en peignoirs blanc et qu’on ne
va pas venir me chercher, alors réveil ! ça sera en première étape le Lac Blanc et ensuite on jugera
sur place des trois possibilités qu’offre ce lieu à savoir le col des Dards, le col du Belvedère et le col
de Beugeant.
Non mais ! Action !
Tout le monde sort son téléphone GPS ce qui m’arrange bien car mes lunettes sont trop loin et patati
et patata la flème. Nous voilà donc sur le chemin de la tête Aubuy menant au lac Blanc. Notez au
passage que si la pointe Favre a un prénom : Alphonse, le lac quant à lui s’appelle Juste Blanc !! ;)
Il n’a pas de prénom !! Ah ben fallait l’oser celle là !
Durant l’heure nous ayant mené là, le temps est passé au beau et nous sommes à l’abri du vent
pépères.
Dans notre dos certains sommets jouent encore à cache cache et nous comprenons pourquoi les
cartes postales du massif sont souvent prises d’içi.
Nous sommes seuls au Lac Blanc, chose assez rare pour être signalée tellement ce lieu suffoque
l’été dans les émanation d’ambre solaire. D’autres skieurs sont déjà au col et ceux qui nous suivent
sont encore loin.
Il est bientôt midi et nous avons encore du temps devant nous pour nous apaiser et monter tranquille
au col du Belvédère 2780m, A cette heure, l’aiguille du même nom commence à faire de l’ombre au
col et la brume même légère ne tardera pas. Nous profitons ainsi du panorama sur la descente que
nous aurions dû faire dans l’ombre des faces nords nord est, dans le vallon de Bérard.
D’un commun accord nous décidons d’entamer la descente vers la Flégère pour casser la croûte
auprès des chalets du lac Blanc. La journée n’est certes pas celle prévue initialement mais nous
sommes bien certains d’avoir fait le bon choix, choix collectif. Si l’objectif était de se faire plaisir
au soleil, et bien c’est plutôt réussi, on en a pris plein les yeux et la neige était bien meilleure que le
carton annoncé en versant Nord. Alphonse sera là encore longtemps.
Cheminant vers un retour à la « civilisation », une question bien terre à terre nous taraude l’esprit.
Les réflexions ci dessous sont personnelles et n’engage que moi : Nous avons pris ce matin un aller
simple pour l’index pour 27,5€ , Sachant que l’aller/retour coûte 37€ combien coûte la descente ?
Au moins une heure trente cinq à pied certes mais en benne, combien coûte une descente vers
€hamonix XL ? Pas chère, les bennes descendent toutes vides par centaine. On pourrait contribuer
certes, et il n’y a que 700 de D-. Mais l’empire n’a honte de rien et nous prend pour des Américains
en affichant sans vergogne aucune, 17€ pour quatre minutes trente de descente. L’hypoxie me
gagne, nous gagne tous, provoquant ainsi une espèce de mal des montagnes inversé causé par l’
indécente descente dans le monde des affaires qui, lui, ne manque pas d’air... Je suis vert et ma carte
Bleue. Ils ne sont même pas fichés au grand Banditisme. Pour info, dans mon livre toponeige de
2008 il est question de deux euros. Oui, bien sûr c’est l’énergie (celle des actionnaires)!
Bref face à nos évanouissements collectifs, le gars compatissant décide d’appeler son chef plutôt
que les secours de €hamonix. Celui-ci est extrêmement surpris de devoir parler Français, ben tiens,
et comprends très bien notre requête. Presque honteux de demander une ristourne, nous lui
demandons l’état de la piste pour descendre sur €hamonix. Mais le vieux singe, lieutenant du grand
empire de la World compagnie du mont Blanc, préfère vendre trois billets pour six plutôt que rien
du tout. Il nous affirme que la piste est impraticable. Nous optons volontiers pour cette proposition à
50 % avec moult courbettes et mercis répétés pour sa bienveillance seigneuriale à 50€ qui nous
arrange bien, je le reconnais. Qu’aurait-il décidé si nous avions étés d’une autre nationalité ? Plein
tarif sans doute ? Et en tant que Français se sent il confraternel, montagnard ou bien comprend il
que les Français moyens, pauvres manants que nous sommes pour eux, n’ont pas le même pouvoir
d’achat que la clientèle habituel d’où la ristourne, car au fond de lui il comprend bien, honteux, que
17€ c’est du racket autorisé pour clientèle aisée.Tondons, tondons.
Si j’ai qualifié affectueusement Montmin de capitale des lieus perdus, je ne sais plus trop comment
qualifier €hamonix la prétendue capitale de l’Alpinisme aimant et choyant beaucoup plus les
touristes, où les prix évoluent en libres, gonflés à l’hélium, tutoyant les choucas,échappant aux
montagnards, échappant au Chamoniards qui avaient le pied si sûr et la main si ferme ! Ce
patrimoine n’est pas délocalisable et pourtant il ne leur appartient plus. Dois-je devenir
actionnaire ? Vous l’aurez compris, je suis un tantinet irrité. Ça ira mieux la semaine prochaine ?
À Flaine ?
Un grand Merci à Fabrice pour la tournée de bières et bon anniversaire.